Les belles endormies by Kawabata Yasunari

Les belles endormies by Kawabata Yasunari

Auteur:Kawabata, Yasunari [Kawabata, Yasunari]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Albin Michel (Éditions)
Publié: 2011-08-09T04:00:00+00:00


3

Quand le vieil Eguchi alla pour la troisième fois dans la maison des « Belles Endormies », huit jours setaient écoulés depuis sa seconde visite. Entre la première et la seconde, une quinzaine s’était passée ; l’intervalle s’était donc réduit de moitié.

Eguchi s’était-il à son tour laissé peu à peu ensorceler par l’enchantement des filles endormies ?

— Cette nuit, c’est une apprentie, peut-être cela ne vous plaira-t-il pas, mais il faudra vous en faire une raison ! dit l’hôtesse tout en versant le thé.

— Une autre encore ?

— Comme vous avez téléphoné au dernier moment avant de venir, j’ai dû prendre ce que j’avais sous la main… Si vous avez une préférence pour l’une des petites, faites-le-moi savoir deux ou trois jours à l’avance, s’il vous plaît !

— Ah bon ! Cependant, ce que vous appelez une apprentie, qu’est-ce à dire ?

— Une nouvelle, une petite fille.

Le vieil Eguchi eut un sursaut.

— Elle n’est pas habituée, alors elle avait peur, et elle m’a demandé si elles ne pourraient pas être à deux, mais si le client n’aime pas cela, il vaut mieux pas.

— À deux ? Il me semble que cela me serait indifférent qu’elles soient à deux. Mais au fait, dans ce sommeil de mort, comment pourrait-elle éprouver de la peur ou quoi que ce soit ?

— C’est vrai, bien sûr, mais comme c’est une petite qui n’est pas habituée, allez-y doucement, je vous en prie !

— Oh, je ne lui ferai rien !

— Cela, je le sais bien !

— Une apprentie ! grommela le vieil Eguchi. Il vous arrive des choses bizarres parfois !

La femme, après avoir comme les autres fois entrebâillé la porte et jeté un coup d’œil, dit :

— Elle dort, alors, quand il vous plaira ! et elle quitta la pièce. Le vieillard se versa une autre tasse de thé et s’allongea, la tête appuyée sur son coude. Un sentiment de vide frileux l’envahit. Avec un geste d’ennui, il se leva, ouvrit doucement la porte de communication et examina la pièce secrète tendue de velours.

La « petite fille » avait un visage menu. Ses cheveux, coiffés semblait-il en nattes que l’on venait de défaire, couvraient en désordre l’une de ses joues, et comme le dos de sa main cachait l’autre joue jusqu’aux lèvres, son visage paraissait plus étroit encore. C’était une fillette ingénue qui dormait. La main était retournée, et comme les doigts en étaient mollement étendus, le bord de la main se trouvait appliqué sous l’œil, et les doigts, recourbés le long du nez, recouvraient les lèvres. Le médius, plus long, dépassait légèrement et descendait jusqu’au bas du menton. C’était la main gauche. La droite reposait sur le bord de la couverture que les doigts serraient légèrement. Elle n’avait aucun maquillage. Il ne semblait pas non plus qu’elle se fût démaquillée avant de se coucher.

Le vieil Eguchi se glissa doucement à ses côtés. Il prit bien soin de ne pas la toucher. La fille n’eut pas un frémissement. Cependant sa chaleur, bien distincte de celle de la couverture électrique, vint envelopper le vieillard.



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